Par Viatao
Posté le 7 février 2012
Carapace fracturée, membres amputés, la piscine du Phuket Marine Biological Centre accueille une douzaine de pensionnaires. Ces tortues marines sont les rescapées des hélices de bateaux et du tsunami de décembre 2004, qui les a balayées sur plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres. Certaines sont en voie de guérison, d’autres ne retourneront jamais à la mer.
Quand on pense tortue, on pense longévité. A tort pour les tortues marines. Quatre espèces évoluent dans les mers thaïlandaises : la tortue verte (Chelonia mydas), herbivore, la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricate), la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea), et la tortue luth (Demochelys coriacea), qui sont toutes les trois carnivores.
Les tortues marines ont beau sembler blindées sous leur carapace – la tortue imbriquée peut en outre émettre des toxines mortelles pour l’homme – elles n’en sont pas moins étonnamment fragiles. Elles se dépensent davantage que leurs consœurs terrestres, ce qui réduit leur espérance de vie à 60, voire 70 ans.
Sous l’eau, elles minimisent leurs mouvements pour garder des réserves d’oxygène. Mais quand un prédateur les attaque, elles doivent mobiliser toutes leurs forces pour s’enfuir, et atteignent la vitesse de pointe de 60 km... par jour. Et contrairement aux tortues de nos jardins, elles ne peuvent pas rentrer tête et membres dans leur carapace pour se protéger.
Mais le gros problèmes des tortues marines, c’est la ponte. Tout d’abord, le choix du site, sur la terre ferme. Il doit répondre à plusieurs critères, tranquillité, faible pente, et doit être au-dessus de la zone inondée lors des plus hautes marées. C’est le cas dans quelques îles de la mer d’Andaman et du golfe de Thaïlande. Plus compliqué pour la tortue luth par exemple, qui ne peut pondre que la nuit et à marée haute. Si elle est dérangée dans son processus, elle ne pondra pas. Une fois qu’une tortue a trouvé un site favorable, elle y reviendra toujours, guidée par le magnétisme terrestre qui lui permet de retrouver son chemin à des centaines de kilomètres.
Une tortue femelle peut pondre quelques centaines d’œufs chaque année. Mais le taux de survie est très faible, à peine 1 % ! La coquille des œufs est si fine que même des fourmis peuvent la transpercer, et la maman ne peut pas rester à terre pour les surveiller. Si la température passe en dessous de 27 ° C, le métabolisme de l’embryon est ralenti et les œufs ne peuvent pas éclore. A l’inverse, s’il fait trop chaud, comme c’était le cas en 1998 pendant El Niño, les nouveau-nés ne pointent pas le bout de leur nez.
Pour les bébés tortues qui parviennent à sortir de l’œuf, le parcours du combattant ne fait que commencer. Leur défi : rejoindre la mer à toute allure avant d’être dévorés vif par un oiseau. Sensibles à la lumière comme au mouvement, ils peuvent être perturbés par un simple réverbère, et foncer alors vers le continent au lieu de l’océan. Ceux qui gagnent la mer devront se frayer un chemin entre les requins et autres gros poissons carnivores. Mais leur pire ennemi n’en est pas moins terrestre.
Les activités humaines ont nui et continuent de nuire aux tortues marines, de manière volontaire ou non. La viande et les œufs des tortues marines sont considérés comme des mets raffinés, les carapaces peuvent être transformées en accessoires de mode, et l’huile corporelle entre dans la composition de certains parfums. Ceci explique qu’entre 1950 et 1983, lorsque le gouvernement thaïlandais a autorisé la collecte des œufs, les gourmands n’ont pas hésité une seconde et ont fait chuté le taux d’éclosion de 70 %. A partir de 1975, les tortues adultes étaient chassées pour répondre aux demandes des consommateurs. Il est désormais officiellement interdit de chasser ou de posséder des attributs de tortues marines, ce qui n’empêche pas le business – très lucratif – de se perpétuer.
Parfois, ce n’est pas l’intention qui compte. Avec le développement de la pêche moderne dans les années 1960, les tortues n’ont cessé de se retrouver piégées dans les filets des chalutiers.
Sur la côte, les complexes hôteliers perturbent leur milieu de ponte. Les lumières éblouissantes des buildings, les pollutions et l’agitation constante poussent les tortues à chercher des zones plus isolées et préservées, de plus en plus difficiles à trouver.
Ajoutons à cela les dégâts causés aux récifs coralliens par les plongeurs et les pêcheurs. Sans mesure de protection, les tortues marines seraient amenées à disparaître totalement du pays en 2080.
Dans la mer, les tortues confondent les sacs en plastique avec de la nourriture et peuvent mourir d’étouffement. Faisons donc attention à ne pas laisser s’envoler nos sacs vers la grande bleue.
La vue d’une tortue de mer se perdant dans l’infinité azurée de l’océan tient au domaine du sacré. Il est préférable de les observer de loin, et si vous voulez vraiment vous en approcher, résistez à la tentation de les toucher.
Pour ceux qui ne plongent pas, un moyen d’aider est de refuser quelconque produit dérivé des tortues. Si vous êtes témoin d’un commerce douteux ou si vous croisez le chemin de tortues blessées, contactez le Phuket Marine Biological Centre. Signaler les tortues en bonne santé est également utile pour aider le centre dans son suivi de la population.
L’association Naucrates mène des projets de recherche et d’éducation sur les tortues marines, de restauration de la mangrove, et de développement du tourisme durable dans le Sud de la Thaïlande. Envie de donner un coup de main ? Rendez-vous sur le site www.naucrates.org.
Au centre du projet wared de la Wild Animal Rescue Foundation of Thailand, des volontaires du monde entier recueillent, prennent soin des tortues marines, et participent à des missions de sensibilisation des enfants, des communautés locales et des touristes. A Baan Thale Nok, à 30 km au nord de Kuraburi par la route 4. T 02 712 9515, 02 712 9778, www.war- thai.org, [email protected].
Par Thanutvorn Jaturongkavanich et Dr Kongkiat Kittiwattanawong (chercheur au Phuket Marine Biological Centre).
Pour en savoir plus sur les guides de tourisme durable : Viatao