Par Eric Maquenhen
Posté le 27 février 2021
Le 25 juillet dernier, le naufrage au sud-est de l’Ile Maurice du vraquier MV Wakashio sur le récif corallien de Pointe d'Esny, a bouleversé et mobilisé le monde entier. Une sombre catastrophe touchant de plein fouet l'une des plus belles régions de l‘île, la baie historique de Grand Port, avec une marée noire de pétrole lourd. Retour sur cet événement et découverte de projets de préservation et de restauration de la biodiversité avec Eric Maquenhen de l’agence Moris Otreman, notre partenaire local.
La catastrophe écologique connue par l’Ile Maurice l’été dernier a frappé un trésor de biodiversité. Des élans de cohésion citoyenne ont suivi. Eric nous parle aujourd’hui de l’important travail de restauration sur le territoire. Le mercredi 17 février, la barge Hong-Bang 6 a été installée par le remorqueur Magnanimous à proximité de l'épave de la poupe et les travaux de démantèlement de la super structure ont débuté. Le ministère de l'Économie bleue, des Ressources Marines, de la Pêche et de la Marine a indiqué que le chantier devrait durer un mois. Les ouvriers vont se relayer pour travailler 24 heures sur 24.
Entourée d'une barrière de corail de près de 150 kilomètres de long, l'Ile Maurice trouve en la baie de Grand Port un sanctuaire, véritable pépinière pour le lagon, mais également barrière contre les houles hivernales du sud qui limite l'érosion des plages et des côtes. La localisation des dommages causés par le déversement de cette grande quantité de matières polluantes est donc des plus inquiétants : le milieu marin mauricien compte 1.700 espèces, dont environ 800 types de poissons, dix-sept espèces de mammifères marins et deux espèces de tortues, selon la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique.
Cette baie compte de nombreux îlots, dont l'Ile aux Aigrettes, sanctuaire mondial de la biodiversité mauricienne, dont nous parlerons plus longuement par la suite. Dans cette même baie se trouvent deux sites Ramsar, classés pour leurs zones humides (wetlands). Nous le voyons, fonds marins, mangroves, oiseaux côtiers migrateurs, lagon et bien entendu tous les habitants qui vivent de la mer ont été, sont et seront impactés. Or, le nécessaire travail "cosmétique" de nettoyage ne saurait empêcher l'exigeante restauration des systèmes écologiques, économiques et humains.
Photo Sources: Maxar Technologies Photo Sources: Mauritian Wildlife Foundation
Au contraire du reste, un nettoyage trop intense pourrait être susceptible de rendre les côtes stériles en empêchant la recolonisation des algues et des mollusques. Et ceci est également le cas pour les mangroves : composées de plantes (palétuviers, parfois appelés à tort "mangliers" localement) avec des racines échasses aériennes sur lesquelles il y a une écorce agissant comme une enveloppe protectrice, qu'il ne faut pas enlever, mais nettoyer. Le principe ? Enlever le maximum d’huile manuellement et utiliser la technique du flooding pour évacuer l’huile au niveau du sol et accélérer le nettoyage naturel que ferait la mer. Une chose est claire, la tâche est immense ...
Nous devrions tous aujourd'hui être conscients de l'impact du réchauffement climatique, surtout dans nos petites îles océaniques aux ressources limitées. Et la Convention de l'Océan Indien, compétente sur la zone en matière de sécurité maritime, a un rôle à jouer dans la mutualisation des ressources. Déjà en 1990, Adams et Cawardine écrivaient à propos de l'état de l'environnement et de la biodiversité à Maurice : "tout ce qui ne devrait pas être infligé à une île l'a été à Maurice, à l'exception peut-être des essais nucléaires" – source "Last chance to see".
Et il est vrai que nous détenons des records mondiaux ou peu s'en faut pour le taux de destruction des habitats naturels le plus rapide et le plus extrême, le taux d'espèces en danger d'extinction... Durant ces 400 dernières années, 45% des phénomènes d'extinction d'espèces de reptiles ayant eu lieu dans le monde se sont produits dans les Mascareignes.
Maurice est aussi le seul pays au Monde qui massacre régulièrement une espèce en voie d'extinction sous prétexte de protéger – sans succès d'ailleurs – les fruits commerciaux, les litchis en particulier. Or, il est avéré que la chauve-souris reste à la première place des pollinisateurs : "qui dit chauve-souris, dit beau fruit !"
Mais je reprendrai les mots pleins d'espoir du Président de la Royal Society of Arts and Sciences of Mauritius, Pierre Baissac : "Maurice est une petite île riche en biodiversité terrestre et marine, un des points chauds de la biodiversité mondiale, larguée au milieu de l'Océan Indien. Nous nous débattons pour préserver ce qui nous reste de ce patrimoine, notre richesse naturelle. Malheureusement, preuve de notre Histoire, l'emblème mondial de la destruction et de la perte de notre biodiversité par l'action de l'Homme est notre dodo (immangeable, mais disparu en moins de 30 ans, ndlr). Heureusement que cette image est fortement réhaussée par de grands succès dans ce domaine, la sauvegarde de notre crécerelle, le pigeon des mares et la grosse cateau verte, entre autres, qui furent un moment parmi les oiseaux les plus rares au Monde, en danger critique d'extinction. Destruction par l'Homme, mais sauvegarde et réparation par l'Homme, tâche si difficile et coûteuse, mais tellement possible".
Photo Sources: Dominique Rene
Par-delà cet héritage lourd et cette démarche complexe, je vous propose de découvrir des projets engagés et des acteurs locaux mettant toute leur énergie dans la sauvegarde de cette biodiversité, avec une visite de l'Ile aux Aigrettes gérée par la Mauritian Wildlife Foundation et la présentation d'un projet innovant dans le domaine de l'agriculture durable et responsable porté par Gael Soupe.
Rien n'est perdu et beaucoup s'engagent !
Photo Sources: Pascal Mucktoom (horticulteur)©Mauritian Wildlife Foundation Gael Soupe - The Primitive Lounge