Par Laetitia Santos
Posté le 1 septembre 2021
Stéphanie Ledoux. Alexandre Sattler. Elle carnettiste. Lui photographe. Tous deux artistes géniaux et talentueux. Tous deux grands voyageurs, humanistes, avec un don certain pour rencontrer l'Autre et partager son altérité autant que nos similarités. Partis ensemble deux mois entiers en Namibie à l'hiver dernier, alors que le monde entier était replié pour cause de pandémie, nous avons eu la chance de converser avec eux alors qu'ils étaient fraîchement rentrés. Première partie d'un entretien fleuve où ils nous parlent liberté, immensité, peurs desquelles se délester et nécessité de créer des ponts avec son prochain.
Depuis combien de temps êtes-vous rentrés de ce voyage en Namibie ?
Alexandre Sattler : « Une semaine… »
Stéphanie Ledoux : « Une semaine et deux jours ! Ça se voit que je compte ?! » (rires)
Comment avez-vous choisi la Namibie en pleine pandémie ?
Alexandre : « Nous voulions un pays avec de l’espace et des libertés. L’idée étant de trouver un endroit peu peuplé et de vivre en immersion dans le sauvage. La Namibie est justement un des pays avec la plus faible densité de population. Et puis une envie de nature, d’espace voire d’immensité. »
Vous êtes tombés d’accord de suite sur votre destination ?
Stéphanie : « Oui : c’était une proposition d’Alex au départ, qui devait aller en Afrique du Sud pour un projet qui ne s’est finalement pas réalisé. Mais on s’était dit que l’on pouvait coupler Afrique du Sud et Namibie : c’est à côté, on y voyage de la même façon et on peut traverser la frontière en 4x4. La Namibie, c’est les grands espaces, le chaud, le désert… La coupure totale avec le quotidien qu’on avait en France. Nous y étions déjà allés tous deux, chez les Himba, chez les San... Nous avions l'un et l'autre des personnes que l’on souhaitait retrouver dans les villages. C’était là notre premier fil conducteur. »
N’avez-vous pas eu de frein à partir alors que l'on nous intimait de rester enfermé à l’heure de la pandémie ?
Alex : « Ce n’était pas naturel en tout cas. C’était forcément particulier avec le contexte. Il y avait des peurs, mais pas forcément les miennes : celles de mon entourage proche, familial et social. Alors tu regardes autour de toi et là tu t’aperçois que parmi tes copains voyageurs, plus personne ne voyage ! Tu te demandes : "Est-ce bien raisonnable ?"* »
Steph : « Même les plus aventuriers d’entre-eux sont cloitrés et ne savent même pas que l’on peut voyager… Alors forcément tu te dis : "Ne sommes-nous pas inconscients d’y aller alors même que ceux qui sont plus têtes-brulées que nous n’y vont pas ?"* »
Alex : « Alors on se renseigne, on regarde les infos et on s’aperçoit qu’en fait, on peut le faire. Finalement, c’est un peu comme une cage entrouverte d’où on n’ose pas trop sortir parce que le monde extérieur fait peur. Le plus important, c’est finalement de se mettre en mouvement. À partir de ce moment là, tout va mieux. Et arrivés en Afrique, on s’est rendu compte du choix raisonnable que l’on avait fait ! (rires) Et on s’est dit qu’on avait bien fait de suivre notre intuition et de ne pas s’être soumis aux peurs des autres. C’est un choix pas évident à acter, mais une fois que la décision était prise, ça a été libérateur. »
Steph : « On perd vite l’habitude en fait. Ce que je retiens c’est que l’on a beau croire que l’on sait voyager et que c’est une routine, il suffit d’un an d’immobilisme pour se sentir rouillé et avoir soi-même un peu de difficulté à se remettre dans l’idée d’un voyage. Et puis on se sent moins sur de soi que d’habitude, on doute… Encore plus lorsqu’on l’annonce autour de soi et que les réactions sont super mitigées voire alarmistes pour certains : "Vous allez rester coincés là-bas !", "Ça ne t’a pas suffit l’année dernière à Bali ??", "Qu’est-ce que vous allez faire si votre avion est annulé ??" J’ai tout entendu… Surtout que le variant sud-africain commençait à beaucoup faire parler de lui. Alors c’est difficile de désactiver les peurs que l’on nous met dans le crâne alors qu’à la seconde où on a mis le pied sur le sol africain, on s’est demandé comment est-ce qu’on avait pu être autant mis en cage mentalement et autant conditionné, nous qui connaissons bien la réalité du voyage. On sait le quotidien intense et libre du voyage et pourtant, nous avons été dans cette prison mentale. En France, j’en étais arrivée à mal dormir. Dès l’instant où j’ai retrouvé la nature et la liberté, j’ai retrouvé un sommeil de bébé ! »
Alex : « Oui et il faut dire quelque chose aussi : il y a des gens partout dans le monde et on peut se sentir bien partout. On n’est jamais seul, on est avec ceux qui vivent sur place. Même s’il y a un problème et que l’on reste coincé quelque part, rien ne t’empêche de t’adapter et de te sentir bien là où tu es. Nous concernant, le fait de partir à deux avait un côté rassurant. On s’était dit que quelle que soit la situation à laquelle on ferait face là-bas, on serait solidaires et on pourrait compter l’un sur l’autre. »
Lorsque vous mettez pied sur le sol namibien, quelle est la première sensation qui vous traverse ?
Steph : « "Qu’est-ce qu’on a bien fait de partir, de tenir bon !" »
Alex : « À l’aéroport, on est encore en milieu urbain, on voit encore des masques… Mais lorsque tu quittes la ville au volant de ton 4x4, que tu rentres dans ces grands espaces sauvages, là tu te dis : "Waouh ! Qu’est-ce qu’on a bien fait de se libérer pour se reconnecter au sauvage !" C’est une reconnexion à la nature et à un essentiel. C’est se sentir libre, sans contraintes, sans informations. Nous avions fait le choix de ne pas écouter les infos mais de vivre ce voyage dans l’instant présent. Notre mantra du voyage, c’était : Mouvement, liberté, intensité !* »
Steph : « On voulait retrouver la densité des journées que l’on passe dehors, libres de faire ce que l’on veut. Très souvent, le soir, on se disait : « Tu te rends compte tout ce qu’il s’est passé aujourd’hui ?! ». On s’est habitué à un quotidien tellement morose, tellement réduit en terme de sollicitations culturelles, de vie sociale, de sorties etc, qu’une journée de 24h dehors et libre nous a fait ressentir beaucoup d’intensité dans les sensations et la densité des expériences. »
Comment avez-vous déterminé votre itinéraire ?
Stéphanie et Alexandre se marrent à l’évocation de la question…, ndlr
Alex : « L’itinéraire, c’était des intentions ! J’ai un client français expatrié depuis une trentaine d’années à Windhoek, la capitale, qui m’avait dit de passer à la maison à notre arrivée. C’est ce que l’on a fait, on a passé la première nuit chez Jean-Christophe, il a sorti une grande carte en nous montrant les coins sympas et l’itinéraire s’est construit comme ça en fait ! »
Steph : « Il était une mine de bons conseils et sa guesthouse à Windhoek est un repère d’expats en lien avec le tourisme, lesquels connaissent toute l’Afrique Australe depuis une trentaine d’années. Que des baroudeurs avec plein de bons plans ! Donc on a voyagé avec une simple carte en papier annotée, une application sur le téléphone et la convergence de nos envies avec Alex. Et puis la magie des rencontres en voyage, le fil qui se déroule de manière tellement fluide qu’il nous rappelle encore à quel point on a bien fait de partir... »
Alex : « Il y avait un côté un peu mystique… Avant le départ, Stéphanie me disait qu’elle avait des As dans son jeu, sa manière à elle de dire qu’elle a de la chance, qu’elle est née sous une bonne étoile. Je lui répondais que moi aussi, j’ai une bonne étoile qui guide mes pas en voyage. Et on a observé à plusieurs reprises une forme de magie, de synchronicité. La chance de Steph plus la mienne, ça nous a déployé un tapis rouge ! »
Steph : « Ça s’est multiplié ! (rires) Ça ne s’est pas additionné, ça s’est multiplié ! »
Alex : « On sait que la pensée est créatrice mais là, juste le fait de penser l’intention, hop elle se réalisait tout de suite ! Souvent en voyage, on observe ce genre de choses : que la synchronicité est plus forte quand tu es en mouvement. Là, elle a vraiment été décuplée. On n’avait pas de plan mais c’est tant mieux ! Je crois que si on en avait eu, on se serait fermé à beaucoup d’opportunités. C’était bien de partir avec juste des intentions, des envies, de se laisser guider et que tout se mette en place de manière si fluide. »
Double chance et double talent : le dessin pour l’une, la photographie pour l’autre. Ça aussi ça a été fluide, le mariage de vos deux passions ?
Alex : « Stéphanie l’avait déjà fait à plusieurs reprises, pour moi c’était une première. J’ai adoré, je trouve ça très complémentaire et ça permet encore mieux de créer le lien. La rencontre est belle lorsqu’un lien se crée, ce qui est vrai aussi avec la photo. Le dessin permet vraiment de casser une barrière et d’aller plus en profondeur dans les échanges. Alors en tant que photographe, j’ai adoré être témoin de cela. »
Steph : « C’est agréable de voyager avec quelqu’un qui a la même préoccupation pour l’image et pour l’humain. Mine de rien ce n’est pas la façon de voyager de tout le monde : on s’arrête longtemps à certains endroits, dans certains villages, sur certaines rencontres… J’ai déjà voyagé avec des gens qui n’étaient pas des professionnels de l’image et qui pouvaient s’ennuyer, trouver des longueurs. Là, on était tous les deux surexcités au même moment, quand il y avait la bonne lumière, les bonnes rencontres… Ça donnait des envies très cohérentes et des moyens d’expression complémentaires, aussi parce que l’un documentait le travail de l’autre et vice versa. C’est plus fort à deux, les regards se complètent. »
Et donc en autonomie, sans un local pour faire le lien, comment s’est passé l’échange avec les différents peuples que vous avez rencontré ?
Alex : « Pour ma part, j’aime aller à la rencontre des gens et plus ils sont différents, mieux c’est. C'est ce qui me plaît dans le voyage : trouver un moyen d’entrer en interaction avec l’autre, imaginer des ponts pour communiquer. Ça n’a pas été dur, et même si ça l’est, tant mieux, parce qu’alors tu dois être inventif et trouver comment faire pour créer du lien. C’était même très facile pour ma part en Namibie. On a surtout recherché l’interaction avec les ethnies, hors des villes. On a vu les Himba, les Bushmen et les Damara. »
Steph : « À mon avis, il ne faut pas colporter l’idée que c’est facile pour tout le monde. C’est aussi parce que ce sont nos métiers et qu’on a de l’entraînement, on sait comment s’y prendre pour créer du lien. En tant que touriste, face à une altérité telle, c’est facile de se sentir emprunté, tombé comme un cheveu sur la soupe et de ne pas avoir grand échange à part le fait de faire des photos. Et c’est là que le tourisme part à la dérive dans ce genre de village ethnique. Puisqu’il n’y a pas de langue commune, c’est difficile de générer un échange. Alex, sur le terrain, il a une aisance, il fait des blagues, des tours de magie, il taquine, il parvient à briser la glace pour déclencher quelque chose. Mais pour ça il faut une personnalité, un bagou, une expérience qui porte ses fruits. Mais pour quelqu’un qui irait comme ça pour la première fois, il y a forcément plus de gêne. »
Alex : « En tout cas, pour nous, ça n’a pas été problématique de rencontrer les gens… »
Steph : « Je dirais presque que ça fait partie intégrante de notre métier. »
Alex : « Oui mais de nos personnalités aussi. Je ne pourrais pas faire les portraits que je fais, avec un objectif gros comme ça que je plante devant le visage des gens, sans cette approche et cette manière d’aborder l’autre. C’est un tempérament je crois qui me permet d’approcher les gens facilement et donc de faire des photos, parce que je n’ai pas peur de la rencontre, je considère l’autre comme un frère donc ne perdons pas de temps. »