Par Sophie Squillace
Posté le 20 mai 2021
Située sur le continent sud-américain, la Guyane ne ressemble à aucune autre région française. Tous les superlatifs sont possibles pour la décrire : grande par sa surface, unique par son climat équatorial, rare par sa forêt primaire et sa merveilleuse biodiversité, intéressante par son histoire et sa mosaïque de peuples et de cultures.
On y va pour explorer ses parcs protégés lors de randonnées, pour s’immerger au cœur de cette Amazonie française, remonter le cours des rivières en pirogue, dormir dans un carbet en pleine nature pour une nuit dans un hamac, se baigner dans une crique sauvage, observer toutes sortes d’oiseaux migrateurs, et assister à la ponte des tortues. On voyage en Guyane pour flâner sur les marchés créoles et Hmongs, découvrir l’héritage de l’ère précolombienne, l’histoire du bagne, mais aussi être témoin d’une région qui se veut tournée vers l’avenir avec son activité spatiale.
Quand on évoque l’histoire de la Guyane, on pense au bagne de Cayenne, qui dura de 1852 à 1938. Plus contemporain, on songe instantanément au Centre Spatial Guyanais, créé en 1968, et implanté à Kourou et Sinnamary. C’est sur cette base de lancement d'engins spatiaux français et européens que décollent les fusées Ariane ainsi que des satellites de télécommunications.
Mais revenons au premier peuplement de la Guyane, celui des Amérindiens au VIe millénaire avant J.-C., les Emerillon et les Wayampi. Originaires de l’Amazonie, les Arawak et les Palikour arrivent plus tard au IIIe siècle, suivis par les Caraïbes au VIIIe siècle.
De nombreux peuples occupent déjà la région lorsque le 5 août 1498 Christophe Colomb longe les côtes de Guyane. Mais c’est l’Espagnol Vicente Yanez Pinzon (1460-1523), qui pose le pied sur la terre guyanaise en 1500.
Photo Sources: Dan Lundberg
Les Français vont tenter de s’y installer à partir de 1604, faisant notamment face à la révolte de populations autochtones, et à des maladies qui leur étaient inconnues. « Durant cette période [de 1500 à 1624, ndlr], de multiples expéditions se sont succédées.Les colons ont systématiquement été en contact avec les Amérindiens que la forme soit cordiale ou brutale entrainant généralement le massacre des Européens (…) C'est durant l'épisode des « Normands en Guyane (1624-1653) » que la question de la maladie fut évoquée. « Ces expéditions furent décimées par la maladie et une partie des survivants passèrent aux Iles. En 1643, à l'arrivée en Guyane de l'expédition de Poncet de Brétigny, il ne restait qu'une dizaine de Français dans l'île de Cayenne et une dizaine à l'embouchure du Maroni » (Hurault 1972 : 74). » [Nadir Boudehri, Philippe Esterre, Gérald Migeon. Le choc microbien dans les Guyanes. Karapa,AIMARA, 2014, 3, pp.52-61. hal-01879012].
Fait important mis en avant par Jean Hurault, Docteur en géographie, spécialiste du Cameroun et de la Guyane française : « La cause du dépeuplement des indigènes de cette partie de l’Amérique est essentiellement d’ordre médical. Dans l’évolution démographique des tribus indiennes, les chutes sont toujours en relation avec la transmission aux Indiens de germes d’origine européenne ou africaine (…) Des épidémies massives survenaient partout où les Européens s’établissaient ou voyageaient fréquemment. » [Histoire et maladie. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 21ᵉ année, N. 4, 1966. pp. 894-902].
La colonisation se poursuit, et Cayenne est fondée en 1643. Des juifs marranes, venus de Guyane hollandaise, fondent à Cayenne une première sucrerie et font venir les premiers esclaves noirs. Les français s’installent pour de bon en 1664 et tentent de développer une agriculture basée sur la canne à sucre, le rocou, le coton, le café… Toujours en proie à des conflits avec les Anglais et les Hollandais, la Guyane signe en 1713, le traité d’Utrecht, qui établit le Maroni comme frontière occidentale de la Guyane française. La même année, les jésuites poursuivent leur mission d’évangélisation de la colonie à Kourou. Il reste des oppositions fréquentes avec le Portugal, puis le Brésil, jusqu’à 1900, lorsqu’un arbitrage suisse fixera la frontière franco-brésilienne sur l’Oyapock.
Après l’abolition de l’esclavage en 1848, on va faire venir des travailleurs asiatiques sous contrat et des forçats. Le bagne est né, autour de Saint-Laurent-du-Maroni. Alfred Dreyfus (1859-1935) en sera le prisonnier le plus célèbre. À la même époque, les boues aurifères d’un affluent de l’Approuague provoquent une ruée vers l’or qui va durer un siècle.
Photo Sources: Antoine Hubert
Grâce à l’aide du journaliste Albert Londres (1884-1932), un puissant mouvement d’opinion obtient la fermeture du bagne en 1938 ; les derniers détenus seront rapatriés en 1953.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Guyane devient un département. Lorsque la guerre d’Algérie éclate, la Guyane va bénéficier d’une décision qui va forger son destin contemporain : transférer le Centre spatial français de Colomb-Béchar à Kourou.
C’est un Département français d'Outre-Mer (DOM), que l’on appelle aussi la Guyane française, avec une population de plus de 270 000 habitants. La Guyane se caractérise par sa faible densité de population (3 habitants au kilomètre carré), principalement regroupée sur le littoral, jeune (les moins de 20 ans représentent 43 % de la population), et d’une grande diversité culturelle.
Avec ses peuples venus des quatre coins du monde, la Guyane est une société métissée qui a su conserver traditions, langues et cultures. Dans ce grand brassage culturel, on distingue plusieurs communautés :
Les Amérindiens, peuples autochtones, premiers habitants de la région. Ils représentent environ 5% des Guyanais : Arawak, Palikur, Kalihna et Wayana, Emerillon, Wayampi ou encore Apalaï. Ils vivent le plus souvent au sein de villages sous la protection du chef coutumier et du chamane. Une zone réglementée dans le sud de la Guyane vise à protéger les Amérindiens vivant dans l’intérieur des terres guyanaises.
Les Bushinengués, ou Noirs-marrons, descendants des esclaves qui se sont enfuis des plantations du Suriname voisin (ou Guyane hollandaise), vivent pour l’essentiel sur les rives du Maroni.
Avec plus de 100 000 personnes, les Créoles représentent la population la plus importante de Guyane, généralement descendants des esclaves libérés au moment de l’abolition de l’esclavage en 1848. Les Créoles habitent le plus souvent sur le littoral.
À partir de la fin du XIXe siècle, des travailleurs Chinois arrivent en Guyane, suivis d’Indiens. À partir de 1977, ce sont près de 4 000 Hmongs fuyant la guerre d’Indochine qui sont pris en charge par la France et s’installent dans la forêt guyanaise.
Le plus souvent fonctionnaires ou employés du Centre spatial, les métropolitains représentent 8 % de la population guyanaise. Enfin, on compte une importante communauté d’Haïtiens.
Même si la langue officielle est le français, 60% des Guyanais parlent le créole (guyanais, principalement, mais aussi martiniquais, guadeloupéen ou haïtien.) Le français est la langue maternelle d’environ 15% des habitants.
Les langues amérindiennes, parlées par seulement 4% de la population guyanaise, sont classées en trois familles : arawak, caribe (ou caraïbe) et tupi-guarani. Parmi ces langues en voie de disparition, seul le kali'na (famille caraïbe), semble avoir des chances de subsister.
Photo Sources: Cheiiyka Photography / Guyane-Amazonie
Le poisson est à l’honneur en Guyane avec le blaff, un plat cuisiné avec du cèleri, des oignons, du citron et du piment. En entrées, vous trouverez souvent des salades de chou maripa, des accras de morue et autres crevettes et poissons marinés. D’autres plats sont cuisinés avec du lait de coco, le tout servi avec du riz, des haricots rouges et des légumes.
Vous ne pourrez pas passer à côté du plat national, le bouillon d’awara : c’est une pâte épaisse de fruits d’Astrocaryum vulgare (le palmier awara) que l’on cuit pendant des heures avec poulet, crabes, crevettes et légumes.
L’artisanat de la Guyane reflète la diversité ethnique de la région. Les Amérindiens fabriquant eux-mêmes les objets du quotidien ont développé plusieurs savoir-faire comme la vannerie, la céramique, le textile ou le tissage des parures en perle. Vous verrez toutes les hottes, tamis, éventails, paniers, nattes ou couleuvres à manioc (pressoirs) faits de végétaux verts. Parmi les œuvres les plus connues de cet artisanat traditionnel, découvrez les étonnants bancs de cérémonie zoomorphes amérindiens.
Ce sont les Bushinengués les plus réputés pour leur sculpture sur bois, fabriquant ustensiles de cuisine, peignes, proues des pirogues mais aussi de petites statues. Quelques artisans ajoutent des touches de couleurs ou des motifs géométriques. La marquèterie dispose de bois précieux et les artisans font des merveilles.
Enfin les Hmongs sont connus pour leurs broderies et patchworks de tissus colorés qui ornent les pochettes, étoffes ou costumes traditionnels.
Enfin, la Guyane est un véritable Eldorado ; de la pépite au bijou, on retrouve l’or sous toutes ses formes. Vigilance bien sûr concernant l’or, sur un territoire où l’orpaillage illégal fait rage. On vous en parle plus en détails dans la partie « Enjeux actuels ».
Le carnaval de Guyane débute le jour de l’Epiphanie et se termine le Mercredi des cendres après les « jours gras ». Cette fête importée d’Europe s’étend à toute la communauté créole au XIXe siècle. C’est un évènement qui devient alors un vecteur de lien social et de décompression dans une société très inégalitaire. Les festivités bouleversent l’ordre social et ouvrent un espace de liberté pour tous les Guyanais, qui y sont aujourd’hui encore très attachés.
Photo Sources: Fabienne Chemin
Inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l'humanité, le bal paré-masqué est une tradition du carnaval de Guyane. C’est un mélange entre les réceptions de la société bourgeoise, où l’on dansait la valse et la biguine, et les bals populaires rythmés par les mazurkas, polkas et « kaséko ».
Des dancings éphémères, baptisés « universités » accueillent les orchestres et carnavaliers en tenue de fête les samedis soir. Après deux mois de festivités, le carnaval s’achève en apothéose avec les lundi et mardi gras. Les deux dimanches précédant le mercredi des Cendres ont lieu les grandes parades, à Kourou d’abord, à Cayenne ensuite. Les Guyanais défilent le dimanche dans la rue au son des percussions, laissant place à leur créativité comme en témoignent les costumes de différents personnages incarnant l’esprit du carnaval. Enfin, le mercredi des Cendres, c’est l’enterrement de Vaval, le roi du carnaval, incinéré sur la place des Palmistes à Cayenne, devant ses sujets arborant les couleurs du deuil, le noir et le blanc.
Située sur la côte Nord-Est de l'Amérique du Sud, la Guyane est frontalière du Surinam (à l’ouest) et du Brésil (à l’Est et au Sud). Son territoire est recouvert de 8 millions d'hectares de forêt, un véritable trésor de la biodiversité à l’échelle mondiale.
La Guyane se divise en plusieurs zones, la bande côtière et les plaines, puis les collines de l’intérieur ou terres hautes. Le littoral guyanais est relativement instable à cause des alluvions charriées par le fleuve Amazone, ainsi que le phénomène d’érosion. C’est très visible à Cayenne, avec parfois des plages dégagées ; et parfois des espaces envahis par la mangrove. Celle-ci couvre 80% du littoral avec ses palétuviers, véritable refuge pour une faune abondante. Cet écosystème unique se régénère sans cesse en fonction des mouvements des bancs de vase.
Lorsque l’on pénètre à l’intérieur des terres, on découvre l’imposant plateau des Guyanes, intact, quasi impénétrable. Bienvenue dans la forêt primaire équatoriale, l’un des derniers grands poumons verts de notre planète.
Voilà quelques chiffres vertigineux : 5 500 espèces végétales, lianes, mousses, fougères, orchidées ; dont 1 500 arbres différents. 177 espèces de mammifères dont la Sotalie de l’Amazone (un dauphin d’eau douce), le Lamentin des Caraïbes, le Tatou géant, et bien sûr le Jaguar, le Puma ou encore le Chat margay. Plus de 600 espèces d’oiseaux, Ibis rouge, Martin-pêcheur d’Amazonie, Coq-de-roche, Pic de Cayenne ; 132 espèces d’amphibiens et de nombreuses tortues protégées.
Photo Sources: Bernard Dupont
Dans la forêt, les créatures les plus visibles sont les papillons, dont le magnifique morpho aux grandes ailes bleutées et aux reflets métalliques, devenu symbole de la Guyane. Autre espèce emblématique, la mygale matoutou ou encore l’étrange araignée amblypyge, star dans Harry Potter 4. On sera plus craintifs devant les fourmis, moustiques et guêpes que l’on trouve en abondance.
Photo Sources: Bernard Dupont
Saviez-vous que le piment de Cayenne est le nom donné aux fruits de deux plantes distinctes de la famille des solanacées : Capsicum frutescens (piment enragé) et Capsicum annuum (piment d’ornement) ? Le premier, fermenté en fût pendant trois ans, auquel on ajout du vinaigre et du sel, est la base du Tabasco.
En Guyane, le tourisme est essentiellement tourné vers la nature. Avec ses espaces et paysages préservés, et une flore et une faune aux richesses exceptionnelles, la Guyane est un poumon vert de la planète.
Depuis 2001, le Parc naturel régional de la Guyane couvre 6 000 km² sur la bande littorale, composés de marais, mangroves, forêts, savanes, monts et montagnes. Le même parc gère deux réserves naturelles, Kaw-Roura, et celle de l’Amana. La politique de développement durable mise en place par le parc cherche à protéger les milieux naturels, valoriser les pratiques culturelles et développer l’écotourisme.
Photo Sources: Olivier Tostain
Depuis 2007, le Parc amazonien de Guyane (PAG) protège 34 000 km² au centre et au sud du territoire, devenant ainsi le plus grand Parc national de France et d’Europe. Les enjeux du parc reposent sur la biodiversité, les cultures amérindiennes, et un accompagnement sur la voie du développement durable.
Plus d’informations sur la volonté de développer l’écotourisme en Guyane.
Malgré ses ressources minières, notamment aurifères, halieutiques avec sa zone économique exclusive de 130 000 km², et énergétiques, la Guyane doit relever de nombreux défis.
L'un des gros problèmes de la Guyane, tant pour son développement économique, touristique, et écologique, est l'orpaillage clandestin. Depuis les années 2000, ce sanctuaire de la biodiversité subit une nouvelle ruée vers l'or avec des pratiques hors de contrôle.
On estime que l'extraction illégale en Guyane s'élève à environ 10 tonnes par an, soit plus de cinq fois la production légale. Cette extraction illégale est presque exclusivement réalisée par des orpailleurs en provenance des États du Nord brésilien, appelés garimpeiros.
Le danger et les risques de l'activité aurifère illégale pour l'environnement et la santé des populations sont énormes et souvent passés sous silence. Les populations les plus touchées sont aussi les plus fragiles : Amérindiens Wayana, Teko et Wayampi, habitants du Haut Maroni et de la commune de Camopi.
Aujourd’hui, sans parler du climat d’insécurité qu’il génère, l’orpaillage illégal pose un grave problème environnemental. En plus de la déforestation créée par les camps et chantiers de recherche, pour agglomérer l’or, on utilise du mercure, principale cause de pollution des rivières, des fleuves, et des sols. Tous les ans, près 80 tonnes de mercure pollueraient ainsi le fragile écosystème guyanais. La multiplication des sites provoque à la fois un déboisement, le « mitage » de la forêt, le rejet dans les eaux du mercure, mais aussi la dégradation des fleuves et rivières salis par les boues jaunâtres des gisements.
Une bonne nouvelle toutefois, le projet minier colossal de la Montagne d’or a été abandonné grâce aux populations autochtones et défenseurs de l’environnement qui se sont battus pour dénoncer les effets sociaux, sanitaires et environnementaux catastrophiques d’un tel projet.
Photo Sources: Jack Guez / AFP
Pour aller plus loin :
Etienne Druon, carnettiste et passionné par la Guyane a réalisé de nombreux voyages un crayon à la main pour « partager et faire découvrir des visages, des gens, des peuples, une civilisation, la forêt. ». Ses dessins racontent aussi l’urgence de montrer la beauté et la fragilité du monde. Replongez-vous sans attendre dans l’interview d’Etienne Druon, digne d’un roman d’aventure.
Photo Sources: Etienne Druon
Retrouvez un extrait d'un carnet de voyage d'Émilie et Étienne Druon intitulé "Le Paradis morcelé" sur la forêt amazonienne de Guyane.